Dans ma tête, il y a toutes sortes de créatures. Les mythes, légendes, contes… Tous les genres se mélangent dans mon esprit et forment des personnages loufoques qui complètent mon moi. Ces personnages dont je vous parle, ils ne se voient pas. Ils se lisent. Dans ma tête, il y a un roman à la fois fictif et réel qui ne cesse de s’écrire de lui-même, s’inspirant de ce que je vois et entends, de ce que je touche et sens, de ce que je dis et ressens. C’est MON roman. Je l’appelle mon livre-pensée, et un jour, je deviendrai écrivaine, seulement pour pouvoir enfin partager ce que je ressens. Je suis patiente, j’attendrai.

Ce soir sera comme tous les autres soirs.
J’entre chez moi, ma mère est sur le canapé, une bouteille à la main. Elle m’ignore, elle ne me voit pas. L’année dernière, elle a perdu la vue dans un accident de voiture. Mon père était avec elle, il est mort. Elle s’est mise à boire à la suite de l’accident, et moi j’ai cessé de vivre. Mon cœur ne me fait plus mal, il est gelé et la douleur aussi.
J’entre dans ma chambre. L’atmosphère est lourde, souvenir de mes longues nuits où j’ai pleuré avant de devenir l’Iceberg humain. Le sol me semble froid et humide, je l’aime comme ça. Il me fait penser au sol d’une grotte, j’aime cette image. Une grotte, pour moi, ça représente la sécurité et le silence. Je me déshabille complètement et me couche à même le sol de ciment froid. Je frissonne. J’aime ça. Je ferme les yeux, je suis dans une grotte et un ouragan fait des ravages à l’extérieur. Moi, je suis en sécurité. Cette grotte a survécu à des milliers d’années de misère, elle est mon idole. Elle est forte et courageuse. Pas moi.
Je me suis endormie, je rêve que je vole. Je suis une fée, je suis belle et magique. Autour de moi, les nuages me suivent, ils m’admirent. Puis soudain, le vent est en fuite. Il me pousse à m’enfuir avec lui, à me faire rebrousser chemin. Les nuages me suivent toujours, ils m’aiment. Moi, j’ai peur, je ne comprends pas pourquoi le vent fuit dans cette direction. Un tourbillon se crée, plus bas. Nous sommes au-dessus de l’océan et le climat se refroidit trop rapidement. L’ouragan, il est là, tout prêt. J’ai peur, je suis tétanisée. Les nuages rient autour de moi, ils rient de moi. Je pleure, je tremble, j’ai froid. Une île apparaît au loin, et j’y entends une voix qui m’appelle. C’est ma grotte! C’est elle, elle veut que je la retrouve, elle veut me protéger! Je bats des ailes le plus rapidement possible vers elle, mais le vent essaie de me retenir, m’attire loin d’elle. Puis le noir me submerge. Je suis faible. Je n’ai aucun courage. C’est ma peur, j’en suis certaine. Chaque nuit, c’est le même rêve. Le vent ne veut pas que j’aille retrouver ma sécurisante grotte. Ma tante, que je vois une fois par année seulement, m’a déjà expliqué que les rêves ont toutes leurs significations, mais je n’ai jamais rien trouvé à propos du mien, dans les dictionnaires de rêve. Alors je saute à ma propre conclusion : c’est le reflet de ma propre faiblesse.

Je suis encore dans ma chambre, dans ma grotte. Je lis un roman que j’aime beaucoup. L’auteure me donne envie d’écrire. Elle écrit comme elle pense, elle a un livre-pensée comme mémoire, elle aussi. Elle m’inspire, me donne envie de faire de l’écriture un métier, comme elle l’a faite.
Charlotte, tu m’inspires!

J’écris dans un journal. Je ne m’en étais jamais servi avant aujourd’hui. Je crois que si j’ai commencé à le faire, c’est parce que les lettres qui volent dans ma tête à la recherche de leurs âmes sœurs me le demandent. Elles me supplient de les coucher sur du papier. Les personnages essaient de s’évader de cette prison mentale, ils veulent vivre. Moi, je veux tout ce qu’ils veulent. Ils sont moi. J’obtempère à toutes leurs demandes. Ça me permet d’oublier ma mère, ça me permet de ne plus être aussi faible. Quand j’écris, je me sens forte. Charlotte m’a donné envie d’écrire, elle est ma sauveuse. Elle m’a montré le chemin en l’écrivant dans ses propres romans, et moi en le suivant j’ai découvert que ma faiblesse pouvait s’évanouir derrière un bouclier me protégeant de moi-même.
Si je veux devenir l’amie des lettres, c’est pour mieux me comprendre, alors il faut que j’écrive! Ça me picote les doigts chaque fois que je vois un crayon et du papier, m’appelant de leur petite voix timide.
Et puis, ma vie est un vase cassé. Les morceaux doivent êtres recollés, dans mon cœur. Avant, je me sentais trop faible pour me parcourir à leur recherche, mais de plus en plus, je m’en sens capable. Je ne suis pas certaine de pouvoir tous les attraper, puis de les recoller, car ils se mélangent, mais un jour, peut-être que je trouverai la force de recoller les morceaux brisés. Cette feuille blanche que je tiens devant moi, ainsi que le crayon… Ce sont mes nouveaux amis, ils m’apprendront à écrire. Ils m’apprendront à coller mes fragments de vie sur le papier! J’aurais envie d’en écrire plus dans mon livre-pensée, mais pour l’instant, j’ai la main en bouillie. Je n’écrivais pas, avant. Je manque d’expérience.
Tout ce que je vous écris, en ce moment, sont des passages de mon livre-pensée. C’est ce qui sort de ma tête, ce qui se couche sur du papier sans prendre une forme vivante. C’est la découverte d’un roman qui sera unique, qui sera moi.

L’écriture de l’esprit, voilà ce que m’a appris Charlotte en écrivant de si bons romans. Ce texte, il représente une petite partie de ce que je ressens. Mais il n’est pas véridique. Charlotte le verrait, elle. Elle pourrait le sentir. La fiction peut transmettre la réalité si subtilement, il faut savoir différencier le roman de l’auteur grâce au message transmis. Charlotte, tu me l’as appris. Merci.

Il n'y a pas longtemps, j'ai perdu une grande amie pour une différence qui l'empêchait de vouloir s'approcher de moi. Cette personne, cette amie, est ma seule raison de vivre. Vous pouvez penser ce que vous voulez, croire que je suis un peu dramatique, mais c'est la vérité. C'est la seule personne capable de me voir tel que je suis réellement, de me comprendre et de m'accepter. Elle me respecte, et c'est la seule que je respecte. La raison pour laquelle elle s'est éloigné de moi n'empêche pas qu'elle est à mes yeux la meilleure amie que je n'aurai jamais, et je la considérerai toujours tel quel. Et je sais qu'au fond d'elle, bien qu'aujourd'hui elle ne m'adresse plus la parole, ce n'est pas pour me blesser ou pour me faire comprendre qu'elle ne veut plus rien savoir de moi, non. Elle le fait pour me protéger, et je l'en suis reconnaissante. Je lui en suis reconnaissante car elle le fait pour moi, mais je lui en veux de ne pas comprendre que je suis prête à passer outre les difficultés qu'imposerait notre amitié simplement pour l'avoir auprès de moi. Elle est ma famille, mon amie et une partie de moi à la fois. Ça ne fait qu'une semaine qu'elle m'évite comme la peste, et pourtant j'ai l'impression d'avoir perdu une moitié.
Je ne dirai pas le nom de cette personne, elle saura se reconnaître. Si tu lis ceci, ma chère amie, sache que tout ce que je dis ici est la pure réalité et non une fiction charmeuse pour que tu me reviennes. Je tiens sincérement à toi, et je m'ennuie de toi.